Par Anne Morelli (Intervento pubblicato su La Libre.be)
Le gouvernement italien se prépare à liquider le plus grand Institut culturel étranger de Bruxelles. C’est un pan de l’histoire des Italiens en Belgique qui disparaîtrait ainsi que l’accès des Belges à la culture italienne. Depuis plus de quatrevingts ans, la culture italienne à Bruxelles a un lieu de référence : l’Institut italien de culture.
Le n° 38 de la rue de Livourne est une splendide maison de maître du XIXe siècle, acquise en 1932 par des particuliers italiens de Belgique, appuyés par des firmes italiennes et par l’Etat italien. La “Casa d’Italia” était à cette époque une vitrine du régime fasciste italien : magnifiquement embellie par des artisans italiens, elle présente alors des salles de sport (escrime notamment), des salons ouverts aux travailleurs (Dopo Lavoro), une bibliothèque aux lambris de bois faits sur mesure et meublée avec goût, des salles de conférences mais aussi une école où les élèves italiens, de la maternelle au Lycée, jouissaient de vastes salles de classes et d’une cantine. En 1935 la “Casa d’Italia” fut en outre dotée d’un théâtre de 350 places. Bien sûr elle fut témoin de toutes les vicissitudes politiques du XXe siècle. Documents très compromettants Le premier directeur de l’Institut italien de culture de Bruxelles, le baron Artom, bien que fasciste convaincu et zélé, est démis de ses fonctions, lors de la mise en œuvre des lois raciales, parce que juif.
Une photo de 1940 (Il Legionario, 10 mai 1940, p.19) nous montre une cérémonie fasciste (Natale di Roma) qui se déroule dans le grand théâtre de la rue de Livourne. Le balcon de la salle est gravé d’un slogan du régime : Credere, obbedire, combattere. Les premiers rangs sont occupés par des militaires engrand uniforme. Lors de la Libération de Bruxelles, en septembre 1944, c’est là qu’accourent les antifascistes italiens qui ont échappé aux persécutions, déportations et exécutions nazies. Ils prennent possession de la “Casa d’Italia” et y installent la “Coalition antifasciste”. C’est cette coalition, sous la direction du communiste Ottorino Perrone, un exilé qui fait provisoirement fonction de consul d’Italie à Bruxelles, qui va gérer l’afflux de prisonniers italiens qui sont envoyés vers Bruxelles, régler les problèmes administratifs de la communauté, s’inquiéter du sort des déportés et réorganiser tout de suite un nouvel Institut italien de culture, où des intellectuels italiens, parfois exilés à Bruxelles depuis vingt ans, vont relancer des cours de langue et littérature italienne.
Films et concerts La “Coalition” découvrira et publiera des documents très compromettants sur ce qui se passait à la “Casa d’Italia” fasciste et notamment sur les accointances du Consulat avec les occupants nazis. En contrepoids, le théâtre accueillera plus tard une cérémonie d’hommage aux résistants italiens de Belgique. La “normalisation” est ensuite arrivée et depuis septante ans, la plupart des associations italiennes, si nombreuses en Belgique, ont eu accès pour leurs activités au théâtre de la rue de Livourne. La bibliothèque qui rassemble 18 000 livres, pour beaucoup difficilement accessibles ailleurs, est unique en Belgique. L’Institut italien de culture continue, avec plus ou moins de bonheur selon l’orientation de ses directeurs successifs, à présenter en Belgique, les concerts, les films, les conférenciers et spectacles théâtraux les plus représentatifs de ce qui anime la culture en Italie. Six cents personnes y suivent ses cours. Le consulat (aujourd’hui chancellerie consulaire) a ses locaux dans le même bâtiment, de même que la direction des cours d’italien qui se donnent à l’extérieur. Banalité repoussante Or, le gouvernement italien a décidé de vendre le 38 de la rue de Livourne, après avoir acheté un nouvel immeuble, sur la rue Joseph II, où devraient être regroupés les bureaux du Consulat et de l’Ambassade et, dans un édifice plus petit, non visible de l’extérieur, les locaux de l’Institut de culture.
Si l’idée de transférer dans un immeuble moderne les bureaux du Consulat et de l’Ambassade est compréhensible, celle de confiner l’Institut culturel dans une morne structure de bureau, infiniment plus petite, située dans un quartier désertifié après 19 heures, est absolument inacceptable. Le nouveau siège serait totalement inadéquat pour des manifestations culturelles, sans aucune visibilité extérieure, d’une banalité repoussante et sans théâtre… Sous prétexte de “modernisation” (et d’économies) les activités culturelles devraient se dérouler dans une salle cubique de béton, sans fenêtres, par laquelle passent des employés ! Quant à la bibliothèque, des livres pourraient être rangés… dans une cave (!). Comme il n’y a plus de grande salle de spectacle, les organisations italiennes n’auront qu’à payer des locaux ailleurs pour leurs activités. Disparition d’un pan d’histoire Sans même évoquer la fierté ou l’orgueil national que doivent normalement représenter ces Instituts, on ne peut que constater que les nouveaux locaux ne seront en rien représentatifs d’un certain raffinement italien, d’une certaine élégance qu’on voudrait symboliques du pays. L’Institut avait déjà connu de nombreuses vicissitudes dont les moindres ne sont peutêtre pas les exigences de “rendement” qu’on lui a imposées mais maintenant c’est un pan de l’histoire des Italiens en Belgique qui disparaîtrait en même temps que l’accès des Belges à la culture italienne. A l’heure où le Goethe Institut se dote à Bruxelles d’une grande visibilité, c’est tuer la culture italienne au cœur de l’Europe.
Voici la liste des signataires de cette opinion : Francis Balace (Ulg); Nicoletta Casano (ULB); Luciano Curreri (Ulg); Olivier de Maret (Institut universitaire européen de Florence); Christoph De Spiegeleer (VUB); Michel Dumoulin (UCL); Vincent Genin (ULg); Claudio Gigante (ULB); Sabina Gola (ULB); Emiel Lamberts (KUL); Pierre Lierneux (KLMMRA); Marco Martiniello (ULg); Franco Musarra (KUL); Paola Moreno (Ulg) Anne Morelli (ULB); Giovanni Palumbo (UNamur); Carmen Van den Bergh (KUL); Dirk Vanden Berghe (VUB); Dries Vanysacker (KUL).